« Je crois, bien que la même observation ait été faite très souvent, devoir signaler encore une fois l’indifférence avec laquelle on procède à la démolition des anciennes constructions arabes, et au peu de soin que l’on prend de tout ce qui pourrait servir à nous faire connaître l’histoire du pays ou le sentiment artistique des diverses époques : nôtre inscription en fournit un millième exemple »
Emile Bigonet
Cette inscription (Voir images d’accueil et en bas de l’article) en bois de cèdre de 127 cm de largeur et 85 cm de hauteur était autrefois le fronton d’une zaouïa dans la ville de Constantine, connue sous le nom de Zaouïa Benmahdjouba.
Une Zaouïa est un édifice religieux musulman dans lequel œuvre une organisation qui applique et étudie les sciences islamiques. Elle est présente dans la mémoire sociale à travers son statut spirituel et ses tâches éducatives, formatrices et sociales notamment ses œuvres caritatives. Le nom qu’elle porte est souvent lié à un cheikh célèbre qui l’a établie.
Déracinement
La Zaouïa Benmahdjouba se situait à Constantine dans une rue que les anciens constantinois connaissaient sous l’appellation de Triq El Jdida (Nouvelle route), elle prend à l’époque coloniale le nom de Rue Nationale puis rue Georges Clémenceau. Il s’agit aujourd’hui de la rue Larbi Ben M’hidi.
Fondée par un théologien musulman nommé Yahia Ben Mahdjouba, sa construction fut achevée en 1694 (Selon l’interprétation des caractères inscrits sur le fronton).
Quelques années après la prise de Constantine par l’armée française, la zaouïa fut démolie vers 1865 pour laisser place à la rue Nationale.
À la recherche du fronton
Douze à treize ans étaient passés depuis ce fâcheux événement, un chercheur et membre de la Revue Africaine, Emile Bigonet ayant lu une étude de M. Cherbonneau parue dans l’Annuaire de la Société Archéologique de Constantine 1856-1857 sur les inscriptions arabes de la province de Constantine dont celle de la Zaouïa Benmahdjouba avant sa démolition, décida de faire des recherches à Constantine pour savoir ce qu’elle avait pu devenir.
Il lui fut impossible d’obtenir des renseignements à son sujet, personne parmi ceux qu’il avait questionné n’avait une réponse. Il su cependant le nom de l’entrepreneur qui avait procédé à la démolition du lot de constructions dans lequel la zaouïa était comprise et se résolut à aller le voir.
L’entrepreneur le mena vers un monceau de débris provenant des bâtiments démolis par ses ouvriers, parmi lesquels il retrouva enfin l’inscription abimée mais pouvant encore être reconstituée. Après étude, il la remit au Musée des Antiquités du Parc de Galland à Alger, aujourd’hui le Musée National des Antiquités et des Arts Islamiques.
Suite à une cassure le texte de la cinquième ligne avait presque disparu; mais la lecture qui en avait été faite par M. Cherbonneau bien avant la démolition et les fragments de lettres qui subsistaient encore permirent de reconstituer l’intégralité du texte.
Lettres et feuillage
Bigonet explique : « On comprend que les habitants de Constantine professassent pour leur inscription une certaine admiration. L’homme qui l’a conçue ne manquait certainement pas de goût et les entrelacements des lettres avec des feuillages en rendent l’aspect agréable. Le choix des caractères coufiques indique aussi l’intention de faire une œuvre d’art, car ce type est très ornemental. Cependant il faut reconnaître que le calligraphe qui les a dessinés était loin d’être un artiste habile; la forme qu’il a donnée à certaines lettres, aussi bien dans le coufique cursif que dans le quadrangulaire, manque de pureté, et on voit qu’il n’a pas su s’inspirer des beaux modèles qui existaient dans grand nombre de mosquées ».
Emile Bigonet étudie les détails des caractères dans son article intitulé « Une inscription arabe » paru dans la Revue africaine, édition 1903 et constate quelques incorrections qui, selon lui, ne se produisant pas en Orient, étaient assez fréquentes dans les pays du Maghreb.
On peut lire sur l’inscription le texte tel qu’il y est écrit :
اعوذ بالله من الشيطان الرجيم
في بيوت اذن الله ان ترفع ويذكر
فيها اسمه يسبح له فيها بالغدو والاصال رجال
بيت مرفعة بالذكر عامرة لله قايمة يغفر لمن فيها
وللذي قد انشاها واقام لها البنا يحي ابن محجوبة لله مهديها
اغفر له ما مظا وفي حر لظا وادخله دار السلام منعما فيها
هبة الرظا والأمان من هول يوم الزحام وامنحمه اعلى الجنان يافوز من فيها
في عام جش كمل منها البنا واتم يا فاري ادعو لمنشيها
بالعفو والمغفرة بجاه خير الورى اجعلها دايمة يتلا للحج حديث بها
Aux lignes 6 et 7 corrigez :
مضى – لظى – الرضى – امنحه – يفوز
Traduction :
(Basée sur la traduction d’Emile Bigonet)
Je cherche en Dieu un [refuge] contre Satan le lapidé
Dans des maisons que Dieu a permis d’élever pour qu’on y rappelle
Son nom et que, le matin et le soir, des hommes le glorifient
Maison honorable, par la prière remplie, édifiée pour Dieu qui pardonnera à quiconque l’occupera
Et à celui qui l’a fondée, s’est employé à sa construction : Yahia ben Mahdjouba, qui à Dieu l’a offerte
[0 mon Dieu!] pardonne-lui ce qui est passé (ses péchés), préserve-le de l’ardeur des flammes de l’enfer, introduis-le dans la maison de paix (le paradis), qu’il y soit dans le bien-être
Accorde-lui la protection et la sauvegarde contre les terreurs du jour de la résurrection et donne-lui place au plus haut du paradis. Oh ! quel bonheur pour celui qui s’y trouve
C’est pendant l’année (1003 de l’Hégire) que se termina la construction [de cette mosquée] et qu’elle fut complètement achevée avec [l’aide de] Dieu.
O lecteur, forme des vœux en faveur de celui qui l’a élevée
[0 mon Dieu !] par la miséricorde et le pardon, en considération du meilleur des hommes (Mohamed) laisse-la toujours [un lieu] où seront lues à la foule (pèlerinage) les traditions [du prophète].
Bibliographie : - Musée National des Antiquités et des Arts Islamiques. - Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne - Ed 1903 - Annuaire de la société archéologique de Constantine - Années 1856-1857